Pour ceux qui ne connaissent pas, j'ai écrit cette lettre à la suite de ma lecture des Souffrances du jeune Werther, de Goethe, récit épistolaire où Werther, personnification du romantisme, fortement épris de Charlotte, laquelle est mariée, se heurte à ses refus et devenu dépressif et taciturne, il décide de se suicider. Ne soyez pas trop sévères, c'était écrit vite fait ...
Mon cher Werther,
Cela me semble dérisoire de t’appeler ainsi à présent que je sais qu’il est trop tard : l’irrémédiable s’est produit.
J’ai reçu ta lettre hier, dans une semi conscience car, toi absent, il manquera toujours la parcelle essentielle de mon existence. J’ai perdu par ma faute ce qui faisait mon essence. Est-ce bien vrai, est ce bien toi qui m’a ainsi aimée ? me léguant dans un sursaut de folie ton souffle ultime …Je me maudis mille fois de mon indicible sottise.
Et j’ai mal … Oh ! Si tu savais avec quelle intensité mon cœur souffre de ton absence, combien il saigne quand le tien ne vit plus ! Chacun de ses battements t’est dédié, en mémoire de celui que j’ai aimé de chaque fibre de mon être, et qui gardera à jamais cette adoration presque obsessionnelle …
Oui, Werther, ne sois pas surpris, au fond de toi, tu l’as toujours pressenti, toujours espéré. Dès lors que je te vis pour la première fois, un brasier ardent que j’avais jusqu’alors insoupçonné s’est avivé en moi par ton premier sourire. Il ne devait jamais s’éteindre. Je ne le nie pas, je t’ai toujours repoussé, je t’ai méprisé pour cet amour que tu n’arrivais à dissimuler, et je me suis haïe de même de prier pour que jamais cela ne cesse.
Mes larmes ruissèlent à présent, de l’exaltation que je prends à t’écrire, enfin, et de la pensée atroce que tu n’es plus. Si seulement les choses avaient été différentes ! Si j’avais vécu la passion qui nous aliène l’un à l’autre, si j’avais pu sentir ton souffle sur ma peau, ton odeur tout près de moi, ta bouche sur la mienne, une fois encore … L’unique fois fut un instant volé au paradis, une fleur hélas trop gracile exposée aux glaces hivernales. Mais moi, si pieuse au regard de tous, je me serais volontiers damnée, sans en rougir un seul instant, pour une autre seconde d’éternité volée au ciel.
Il est tard, mon mari dort, apaisé de ne m’avoir plus que pour lui. Mais comment accorder un quelconque crédit à ce sentiment quand tu vis en moi, et en moi seule ? Je partage ma force vitale entre nous, pour nous permettre cette étreinte tant espérée. Cependant elle ne subsistera que peu de temps.
Je te rejoindrai avant que l’aube ne paraisse, m’imposant cette torture de vivre quelques heures encore avec mes remords et mes regrets ; ainsi, je me lave de cet outrage que je t’ai causé, je me rends aussi pure, aussi blanche que tu m’espères.
Les étoiles scintillent plus qu’à l’ordinaire ce soir, et en chacune je crois voir ton visage, tes yeux posés sur moi, me couvant d’une tendre et sincère attention. J’ose croire que tu ressens mon absence aussi fort que je ressens la tienne.
La nuit, noire, profonde, engloutit tout. Tout est égal, tout se ressemble dans les ténèbres, à l’image de cette noirceur en moi. Le manque de toi annihile tout, la beauté s’en est allée.
Oh ! Werther ! J’ai hâte de te rejoindre, tellement hâte … Cette dague finement ciselée à mes côtés me nargue de son air sournois. Je l’effleure doucement de mes doigts et elle me reflète ton si beau visage … Lentement, je me suis entaillé le flanc. Mon sang coule, si rouge, si brillant, tâchant le parquet, souillant mes mains. J’en dispose quelques gouttes sur ce feuillet, tant je voudrais que mon sang fût tien. C’en est trop à présent … je ne peux attendre, mon supplice est trop grand.
Regarde moi, Werther, regarde sans tressaillir cette dague qui s’enfonce délicatement en mon cœur, mon cœur que personne n’aura jamais, toi excepté. Tu es le souffle qui me fait avancer, tu étais l’oxygène de ma vie, tu seras le frisson de ma mort. Je souris, peux-tu le voir, ce sourire heureux ? Ce sourire d’espoir qui t’appelle ? Peux-tu nous voir, amants maudits dans une semblable destinée, embrassés dans un trépas idyllique, dans un sommeil réel et infini ?
A jamais, nous serons ensemble. Nous n’aurons plus peur, nous n’aurons plus mal car nous serons ensemble. Ensemble. Nous ne serons, nous ne sommes qu’une infime part de cet univers si vaste, mais qui pourtant ne brillera à l’égale de nulle autre. Ma vie et ma mort désormais t’appartiennent. Je vous aime, je t’aime.
A toi, je serai jusqu’à ce que l’aurore ne diffuse plus de lumière, jusqu’à ce que tout meure, que le soleil s’éteigne, que les fleurs se flétrissent. Et même au-delà.
Charlotte