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 Le Coq

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AuteurMessage
Jakolarime

Jakolarime


Nombre de messages : 52
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Date d'inscription : 24/11/2006

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MessageSujet: Le Coq   Le Coq EmptyVen 24 Nov - 5:27

Le Coq

Réveillé par un rayon de lumière qui perçait dans l'interstice des rideaux, James sentit tout de suite que quelque chose n'allait pas. Une étrange envie de crier – de chanter, peut-être – se saisit de lui sous l'effet du soleil matinal ; il s'entendit bientôt émettre, en dehors de tout contrôle, un cri incongru, haut-perché, et qui n'avait rien d'humain :

« Cocori…co ! »

Son propre bruit acheva de le tirer des dernières brumes du sommeil. Il hasarda un regard circulaire sur toute la chambre. Rien n'avait changé, apparemment. Sur le lit, en revanche, il y avait du nouveau : son pyjama gisait, vide, autour de lui ; ses jambes ne s'allongeaient plus jusqu'au bout de la couverture. Il fit un large mouvement pour se découvrir. Une aile blanche, où se mêlaient quelques plumes noires ou rousses, avait remplacé son bras. Son cœur se mit à battre très fort…

« Non ! pas ça ! »

En trois sauts et deux vigoureux battements d'ailes - qu'il accomplit sans même y réfléchir -, il se trouva juché sur la commode, face au miroir où il avait coutume de se coiffer. Un magnifique coq, à la crête frémissante, au jabot fièrement renflé, s'offrit à son regard. Le bec entr'ouvert de saisissement, il se surprit à articuler, dans un langage encore à peine humain :

« Merde ! Me voilà transformé en coq ! »

Depuis des mois, déjà, il avait, comme tout le monde, essayé de se préparer à ce genre de catastrophe. L'incroyable épidémie avait frappé maints collègues et amis, et même quelques membres de sa famille. Sa belle-mère ne s'était-elle pas réveillée un beau matin en truie ? (ce qui, avait-il pensé à l'époque, n'était que justice…). Ce vigoureux bouc aux cornes cannelées n'était-il pas son voisin, qui broutait maintenant, sous les regards affectueux de sa nombreuse marmaille, son lopin de gazon ? Le chef du contentieux de l'entreprise où il travaillait, quant à lui, trottinait dans les bureaux sous les dehors d'une fouine. Jusqu'à Léo, le gars de l'informatique, qui tournait en rond dans son bocal de poisson rouge, traînant son inutilité et son impuissance avec plus de flegme qu'il n'en avait jamais montré dans sa nonchalante carrière antérieure ! Considérant le passé des infortunées victimes de ces transformations, James avait trouvé à tout cela une certaine cohérence. Mais lui ? Lui, en coq !! Même en cherchant bien, il se refusait à percevoir, dans ce qui lui arrivait, la moindre logique. Encore bouleversé par ce cruel avatar, James sautilla maladroitement vers la cuisine, en songeant qu'il lui faudrait désormais cesser toutes relations avec son vieux copain Cyril, qu'il visitait régulièrement dans sa tanière de renard.

La femme de James, affairée à la préparation du petit déjeuner, eut un bref sursaut en découvrant son gallinacé de mari qui tentait de s'installer à table. Puis, rassérénée par l'air de ressemblance de l'orgueilleux animal avec le père de ses enfants, elle eut d'emblée cette réaction qui résumait tous ses talents de femme pragmatique :

« Bon. Pour ce matin, tu te contenteras de miettes de pain. Ce soir, je te prendrai un sac de grains à Carrefour, au rayon de la nourriture pour animaux. »

Il lui caqueta un remerciement ému, et commença à picorer dans l'écuelle où elle avait émietté quelques croûtons de la veille. Et tant pis pour son ancienne camarade de classe, aujourd'hui adorable lapine, qui coulait des jours heureux dans un clapier voisin.

Soudain, leurs deux fils entrèrent dans la cuisine. Après un court moment de surprise, ils se regardèrent, l'œil allumé d'espièglerie, avant de se plier en deux dans un rire convulsif.

« Ah, les p'tits cons ! gloussa–t–il, réprimant la crispation de ses ergots vengeurs.
- Allons, allons ! les enfants… Un peu de charité, s'il vous plaît, intervint son épouse. Vous rirez peut-être moins si vous vous retrouvez un jour en cafards ou en sardines… »

Après sa légère collation, James entreprit de se diriger vers le placard où il rangeait sa serviette. Attentive, sa femme le devança, et empoignant le porte-documents, lui proposa :

« Veux-tu que je te conduise au bureau, ce matin ? Pour la suite, nous tâcherons de nous organiser autrement. »

Il lui gloussa un discret merci avant de sautiller sur le siège avant du passager. « Au diable la ceinture de sécurité, roula-t-il. Les poulets ne vont quand même pas verbaliser, si la solidarité existe encore dans les basses-cours ! »

Son entrée au bureau fut modérément remarquée : les ravages de la métamorphose avaient touché une grande partie du personnel. L'hôtesse d'accueil, une superbe rotweiler au poil noir et feu, aboya à son adresse une gentille bienvenue ; sa guenon de secrétaire caressa affectueusement sa crête écarlate, et tira son fauteuil pour lui permettre de s'installer devant l'ordinateur.

« Je ne m'en tire pas trop mal, réfléchit-il. Je peux toujours frapper le clavier avec mon bec, et Cheetah – c'était le nouveau nom de son assistante babouine – pourra toujours m'aider : elle est aussi adroite de ses doigts de pied que de ses doigts de main… ». Évidemment, ce n'était pas comme son collègue Serge, puissant boa dont les glissements furtifs effrayaient bêtes et gens : sa morphologie serpentine proscrivait pour lui toute utilisation du clavier.

Mais le pire arriva un peu plus tard dans la matinée. La direction s'était décidée à diffuser la fameuse circulaire, dont les termes étaient d'autant mieux gravés dans sa mémoire qu'il avait, alors qu'il était encore un juriste bipède, contribué à la rédiger :

« Mesdames et Messieurs les membres du personnel sont avisés que toute transformation de leur poste de travail, rendue nécessaire par une métamorphose animale, sera effectuée aux frais des bénéficiaires. De plus, si la conformation physique des salariés requiert l'assistance d'une tierce personne, ou d'un tiers animal, l'intéressé devra, sous sa responsabilité, partager son salaire avec lesdits auxiliaires.
Il est en outre rappelé que, conformément au décret n° 2020-17812 du 1er avril, la Direction se réserve le droit, sur avis vétérinaire dûment motivé, de licencier les salariés dont l'adaptation s'avérerait impossible.
»

Pour conserver intactes ses remarquables performances juridiques, James n'aurait pas trop d'un perroquet stagiaire, ou d'un chimpanzé un peu astucieux. Ça coûterait un peu, mais ce serait toujours mieux qu’un perchoir médiocre à la S.P.A….

« Décidément, soupira-t-il avec nostalgie, je trouvais que l'organisation de cette boîte tenait du cirque… Maintenant, c'est une vraie ménagerie ! »

Jakolarime (c) mai 2005
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