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 La sentimentalité morbide

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Bloody Rose

Bloody Rose


Nombre de messages : 73
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Date d'inscription : 14/11/2006

La sentimentalité morbide Empty
MessageSujet: La sentimentalité morbide   La sentimentalité morbide EmptyMar 14 Nov - 12:14

« Grant a rose for the Dead !”
“A rose for the dead” - Theatre of tragedy



Les fleurs entouraient Cassandra en cet après-midi d’avril. Le printemps était déjà de retour et elle sentait son cœur bondir dans sa poitrine. Tout était tellement plus rassurant et plus beau lorsqu’elle se trouvait ainsi seule parmi l’herbe fraîchement tondue et les immenses arbres du jardin, protégée pour quelques instants de l’environnement familial. Insouciante, elle porta une petite part de gâteau à ses lèvres et courut vers la maison en entrant par la cuisine. C’était une journée calme. Papa et maman ne s’en étaient pas de nouveau pris à sa grande sœur. Personne n’avait crié, personne n’avait pleuré…
Gambadant dans sa petite robe noire à volants, elle admira sa fine silhouette dans le reflet de la grande fenêtre avant de pénétrer à l’intérieur. Elle avait du harceler ses parents pendant des mois pour en avoir une semblable à celles que portait Morgane, et ceux-ci n’avaient guère apprécié la « mauvaise influence » que sa sœur avait sur elle. Pour toute réponse, elle avait reçu bon nombre de réprimandes et d’avertissements.
« Tu verras ce qu’il t’arrivera si tu suis le même chemin, l’avait prévenue sa mère sur un ton sévère ».
Mais Cassandra avait confiance en sa grande sœur qu’elle prenait depuis son plus jeune âge pour modèle et qui avait elle-même entrepris de lui offrir cette robe. Lorsqu’elle contemplait l’adolescente, la même obsession, le même désir emplissait son cœur d’enfant. Plus tard, elle serait comme elle, plus tard, elle deviendrait elle…
De nombreuses fois, elle entrait dans sa chambre et regardait avec admiration la belle Morgane s’habiller ou se maquiller. Elle ouvrait toujours de grands yeux émerveillés devant ses longues robes à dentelles d’un noir d’encre, ses corsets bien ajustés qui laissaient – outrageusement, comme le disaient papa et maman – entrevoir sa jeune et blanche poitrine. Sa cascade de cheveux sombres descendait toujours libre jusqu’à ses hanches, et Cassandra aimait souvent s’amuser à la coiffer comme s’il ne s’était agi que d’une simple poupée. D’humeur patiente et portant beaucoup d’affection à sa petite sœur, Morgane se laissait faire. Il fallait bien de temps en temps apporter un peu de joie à cette petite fille qui en connaissait si peu dans l’atmosphère pesante dans laquelle elle vivait.
Malgré ses six ans, Cassandra commençait à se rendre compte de beaucoup de choses. Mais elle ne comprenait toujours pas pourquoi papa et maman en voulaient tant à Morgane. Elle ne faisait pourtant rien de mal et se montrait même adorable avec elle. Mais avec ses parents, tout était différent. Elle ne supportait plus leurs remarques désobligeantes sur sa tenue, ses musiques – ces voix si enragées, si profondes, si déchirantes sur fond de guitare électrique, parfois accompagnées par la douceur d’une chanteuse d’opéra – ou encore sur ses loisirs. Mais par-dessus tout, ce qu’on lui reprochait le plus, c’était ses actions…
« Pourquoi fais-tu tout cela ? hurlait souvent sa mère en pleurant. Pourquoi n’es-tu pas comme toutes les jeunes filles de ton âge ? ».
Pourtant c’était cela que Cassandra admirait tant chez sa sœur. Elle était très différente… trop différente. Elle sentait que ses parents voulaient lui cacher toutes ces disputes. Mais comment aurait-elle pu ne pas les voir ? Comment aurait-elle pu ne pas entendre les paroles courroucées et tonnantes de son père ?
« C’est horrible ce que tu fais ! Tout simplement horrible ! »
Ces éclats de voix résonnaient parfois en boucle dans sa tête.
« Je t’interdis d’y aller ce soir ! criait maman à travers la maison alors que Morgane rabattait un sombre capuchon sur son visage et ouvrait la porte d’entrée.»
« Pourquoi continues-tu ? ajoutait papa. Pourquoi ne veux-tu pas changer ? Ne te rends-tu pas compte que ce que tu fais est mal ? Le monde irait tellement mieux sans toi.»
Parfois même, il n’y avait pas que des mots… Ces moments là, Cassandra les haïssait plus que tout. Un jour, par exemple, sa mère s’était mise plus en colère que d’habitude en pensant à Morgane, et elle avait pratiquement renversé tout ce qui se trouvait dans la chambre de sa grande sœur. Toutes ces chandelles, tous ces livres, ces rideaux de dentelles noires, cet encens qui brûlait en permanence, ces roses en tissus qui jonchaient sa commode, tout absolument tout. Puis, elle avait entièrement vidé l’armoire et éparpillé ces jolies robes sur le sol. Dans un éclat de rage, elle avait piétiné le satin et le velours sombres, renversé le mascara noir qui s’était écoulé sur la coiffeuse, éparpillé la poudre blanche qui avait formé comme un nuage au-dessus de son visage pris de folie. Et au final, elle avait empoigné – avec terreur – cet objet inconnu à ses yeux, cette chose qui l’inquiétait le plus, et l’avait déposé avec le reste, gisant au-dessus du tas, tranchante, brillante, étrange.
Morgane était absente ce jour-là. Elle accomplissait son devoir… Cassandra était donc seule à assister à ce désolant spectacle. Les larmes voulaient lui échapper, mais elle n’osait bouger, ni prononcer un mot, ni laisser éclater un seul sanglot, trop effrayée par la fureur de sa mère. Lentement, elle avait vu la main de celle-ci frotter une allumette et la brandir au-dessus du désordre qu’elle venait de semer. Plus terrifiée encore, Cassandra avait alors poussé un cri aigu, et animée d’une énergie inconnue, elle s’était jetée sur sa mère pour la supplier de ne pas faire une telle chose. La vue de son autre fille était parvenue à calmer cette dernière, et craignant de la mettre en danger en opérant cette « purification » devant elle, elle s’était résignée et avait secoué l’allumette dans les airs afin de l’éteindre.
« Tu ne te rends pas compte de ce que tu viens de faire, avait-elle dit à Cassandra sur un air de reproche. Tu m’as empêché de libérer ta sœur de tout cela ! »

Il commençait à se faire tard. Elle entendit son père revenir du travail et se dépêcha de finir son gâteau pour aller lui sauter dans les bras. Dans sa hâte, de nombreuses petites miettes tombèrent sur le sol carrelé que sa mère cirait toujours méticuleusement. Elle serait sans doute fâchée quand elle rentrerait si elle voyait ce désordre, mais Cassandra avait encore l’âge d’être insouciante et elle n’y prêta aucune attention. Jusqu’à ce que… quelque chose d’autre tombe au même moment à l’étage au-dessus. La chute produisit un bruit sourd, comme le poids d’un corps tombant sur un parquet, ciré méticuleusement.
Elle entendit quelqu’un se précipiter dans l’escalier tandis que sa mère rentrait à son tour. Bientôt la voix de son père se fit entendre. Envahie par la curiosité, elle suivit l’épouse docile qui montait à son tour sans l’avoir remarquée. Les paroles de son père venaient de la chambre de Morgane.
Elle entra, dissimulée derrière la silhouette maternelle qui se dressait immense face à elle, et entrevit un bout de jupe ensanglantée, maculant le sol. Il y avait du sang sur la robe de velours… il y avait du sang sur les dentelles noires. Personne n’avait crié, personne n’avait pleuré. Elle s’avança, tremblante. Déjà le père et la mère se détournaient, pris d’en sentiment d’horreur et s’éloignaient, laissant passer la petite fille dont ils n’avaient même pas remarqué la présence. Alors Cassandra regarda, le cœur serré, les yeux embués.
Le visage de sa sœur, qu’elle trouvait si beau, qu’elle admirait tant, restait livide, sans expressions, sous ces paupières baissées ourlées de noir. Ses poignets tranchés reposaient sur le sol dans une mare aussi écarlate que ses lèvres. Son corps tout entier, ce corps de femme, qu’elle espérait avoir un jour, si parfait, si séduisant gisait là, à l’endroit précis où un jour sa mère avait amassé ses affaires avec l’intention de les brûler. Là où il y avait eu ce tas avec au-dessus, dominant tout, cette forme qui lui était inconnue, si tranchante, si brillante, si étrange…

*

Il venait de pleuvoir. L’odeur qui embaumait l’air était délicieuse. Dans le cimetière, une fine silhouette s’avançait. Sur les graviers glissait lentement le bas de la jupe, le velours et les dentelles noires. Elle marcha le long de l’allée, grande, élégante, sombre, brisée… Puis elle s’arrêta et s’agenouilla sur la tombe. Dans ses mains blanches, elle tenait serrée contre elle, une rose – aussi écarlate que ses lèvres – et de ses doigts elle frôla les gravures profondes qui ornaient le marbre froid. Longtemps, elle suivit les courbes des lettres, s’arrêtant toujours au même endroit, là où il y avait écrit… Morgane. Le reste, elle ne le voyait pas, elle ne le voyait plus. Depuis des années… Depuis qu’elle n’était plus une enfant.
La rose s’échappa de ses mains et s’écrasa sur la tombe trempée. Mais nulle larme ne vint l’accompagner. Savait-elle pleurer ? Avait-elle déjà essayé ?
Il semblait que son esprit était en train de se perdre dans une tristesse de laquelle personne ne pouvait la tirer.

*

Le soleil était trop brillant, trop impitoyable à son goût. Il faisait une chaleur étouffante en cette matinée de juin. Déjà lasse de la saison qui commençait à peine, Cassandra s’assit à l’ombre sur un banc vide et se recroquevilla sur elle-même, comme semblant craindre le monde qui l’entourait. Tout autour d’elle, de nombreux jeunes gens sillonnaient la cour pavée du collège. Mais elle ne prenait jamais part à leur excitation générale quand venait l’heure de la récréation.
Alors qu’elle restait plongée dans ses pensées, un groupe d’adolescents se dirigea vers elle. Lentement, elle releva la tête et scruta ces visages aux sourires moqueurs, peinturlurés de couleurs vives pour les filles, ces cheveux enduits de gel, ces silhouettes arborant fièrement les dernières marques en vogue. Elle trembla mais ne souffla un mot. Leur présence autour d’elle la rendait malade, comme si quelque chose d’indéfinissable la rendait très différente… trop différente.
- Eh toi ! l’aborda un de ses camarades de classe d’un ton sarcastique. Dis moi pourquoi tu es toujours en noir !
Parce que je veux être comme elle… parce que je veux devenir elle…
Elle sentit ses poings se serrer. Elle revoyait encore la crise de nerfs que lui avait fait sa mère le matin même – comme tous les matins - lorsqu’elle l’avait surprise, vêtue de la même façon que Morgane jadis.
« Tout ceci ne t’a donc pas servi de leçon ! avait-elle hurlé avec colère. Il faut que tu fasses la même erreur ! »
La sensation d’une main sur elle la tira de ses souvenirs torturés. Devant les autres qui riaient aux éclats, l’adolescent qui avait parlé touchait à présent du bout des doigts avec dédain le velours, la dentelle noire… Et les rires fusèrent de nouveau.
Elle voulut se lever, mais un bras la saisit lorsqu’elle tenta de bouger. Une fille qu’elle connaissait à peine, mais très populaire pourtant, la scrutait d’un air mauvais. Elle aurait désiré se débattre avec rage. Mais savait-elle seulement ce qu’était la rage ? L’avait-elle réellement déjà ressentie ?
Impuissante, elle se laissa tomber à terre sous le coup violent qui s’abattit sur elle avant même qu’elle ne réagisse. Elle tenta de reprendre son souffle. Personne n’avait crié, personne n’avait pleuré. Et il y avait du sang sur sa robe de velours, du sang sur les dentelles noires…

*

Cette nuit là, Cassandra avait fait un rêve étrange, le plus magnifique d’entre tous. Elle se tenait si haut, quelque part dans les airs, qu’elle pouvait contempler tout ce qui se passait en bas à des kilomètres alentours. Elle avait erré longtemps ainsi, cherchant quelque chose de beau à admirer sur la ville, et son attention s’était portée sur un petit groupe de gens réunis en cercle. Elle avait avancé son regard et distingué les détails avec plus de précisions. Il pleuvait de nouveau dans le cimetière et ses parents ainsi que d’autres personnes qu’elle connaissait ou avait connues autrefois se trouvaient là, et tous étaient vêtus de la couleur qu’elle arborait toujours. Au centre du cercle qu’ils formaient, il y avait un cercueil sombre encore ouvert et une jeune fille y reposait à l’intérieur dans sa robe de velours et ses dentelles noires. Elle avait cru reconnaître les paupières baissées ourlées de fard sombre, les lèvres écarlates, le visage recouvert de cette poudre blanche.
Et cette fois, tout le monde avait crié, tout le monde avait pleuré. Et la défunte n’était pas celle qui avait jadis été sensée se trouver à l’intérieur dans son enfance, celle qu’elle n’avait jamais vue couchée ainsi, mais qui devait s’y trouver. Ce n’était pas Morgane, ce n’était pas sa sœur. C’était elle. C’était Cassandra. Car elle voulait être comme elle, car elle voulait devenir elle…

*

L’automne était revenu. Une belle saison pour une grande décision. Il faisait froid dans la maison. Elle était seule. Dans sa chambre, gisait en désordre les grandes robes sombres, les corsets bien ajustés, la poudre formant comme un nuage autour d’elle. Puis soudain, il y eut le bruit d’une chute, et papa qui venait de rentrer du travail se précipita dans les escaliers et appela bientôt son épouse docile qui arrivait à son tour et qui vint le rejoindre, nullement suivie cette fois-ci.
Une nouvelle fois, personne n’avait crié, personne n’avait pleuré. Mais cette fois, il n’y avait pas de sang sur la robe de velours, sur les dentelles noires…

Alors qu’une larme perçait enfin ses yeux, Cassandra avait vu une sombre silhouette venir vers elle, une silhouette très familière… trop familière. Dissimulé derrière un sombre capuchon, elle avait reconnu ce visage si longtemps admiré, ces yeux ourlés de noir, ces lèvres écarlates… Le visage de sa sœur… Et puis elle avait vu… cette forme qui lui était inconnue, tranchante, brillante, étrange… Et à ce moment là, elle avait compris ce que c’était, elle avait enfin su qui était sa sœur… Ce qu’elle voulait être, ce qu’elle voulait devenir…
La sombre silhouette s’était avancée en souriant et l’espace d’un instant, un moment infime, Cassandra avait senti un baiser froid sur sa joue, un baiser qu’elle n’avait encore jamais reçu. Puis elle entendit cette lame, qui désormais lui était connue, tranchante, brillante, magnifique… transpercer l’air.
Puis elle était tombée dans un bruit sourd… tandis que celle que l’on nommait La Mort s’inclinait vers elle et qu’une rose… tombait à ses pieds…
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